[Critique] Nos étoiles contraires - Josh Boone - Par Laure
Posté par : Tom juillet 13, 2014





Titre original: THE FAULT IN OUR STARS

Sortie US : 06/06/2014
Sortie: 20/08/2014

  Réalisateur: Josh Boone

 Adapté du roman de John Green 

Genre: Drame
Durée: 125 minutes
 Acteurs principaux : Shailene Woodley, Ansel Elgort, Nat Wolff, Laura Dern, Sam Trammel, Willem Dafoe
Scénaristes : Scott Neustadter & Michael H. Weber
Producteurs : Wyck Godfrey et Marty Bowen
Producteurs exécutifs:  Michele Imperato Stabile et Isaac Klausner          

Directeur de la photographie : Ben Richardson



Pleurer au cinéma ? Okay.
Qu’on le sache dès maintenant : je n’ai pas lu Nos Étoiles Contraires, même si plusieurs personnes dans mon entourage ne jurent plus que par John Green. Le film, je suis venue le voir par curiosité, parce qu’on m’avait proposé une place et que le Grand Rex, quand même, ça me semblait bien sympa. Et il y avait du monde au Grand Rex, lundi 7 juillet. Des hordes de lycéens, filles pour la plupart, arborant toute une gamme de pancartes, t-shirts ou vernis à ongles à l’effigie du roman (des images par ici). Dans la salle, pas vraiment besoin de chauffer l’ambiance : dès que le noir se fait, les cris fusent. L’arche lumineuse qui passe par-dessus la scène vire du rouge vers le bleu, pour une atmosphère tamisée. Le piano à queue, le tabouret, le micro, tout est là : Birdy peut entrer en scène.


Les jeunes pour les jeunes
Birdy n’a que dix-huit ans. Le saviez-vous ? Moi non. Mais après tout, cela semble aller au bout de la logique : des héros adolescents, pour un public adolescent, ne pouvaient être mieux représentés que par une chanteuse adolescente. Dans le terme « adolescent », on place en vrac : l’émotion brute, la quête d’absolu, les contradictions, les paradoxes, la vie et la mort, la démesure, l’expérience de la joie, de la douleur, de l’insoutenable. Birdy entre sur scène dans sa longue robe noire mouchetée de blanc, celle qu’elle porte dans le clip de Not About Angels. Le silence se fait dans la salle lorsque les premières notes s’échappent du piano mais, depuis le deuxième balcon, on a l’impression que la douceur de la mélodie vient se briser sur le public – conflit d’énergies, ils sont trop excités, elle a l’air si fragile. Sa voix est différente des enregistrements studio : elle a quelque chose de plus plein, peut-être un peu moins maîtrisé, mais plus authentique. Lorsque, dans les moments graves, elle gagne en puissance, elle va chercher les notes au fond de sa gorge. Puis, sur le « don’t give me up », elle s’envole en voix de tête, soudain aérienne, éthérée, comme suspendue à un fil invisible. On dirait qu’elle joue à tester sur l’assistance toute une gamme d’émotions tristes, de la mélancolie au désespoir. L’attitude semble parfois un peu forcée, la posture affligée, plaintive, mais dans l’ensemble, il faut le reconnaître, ça fonctionne plutôt bien. D’ailleurs, à la fin de la deuxième chanson, on sent percer dans les applaudissements plus de respect que d’hystérie, moins d’exultation que de gratitude.


Doser le drame
Ce que l’on peut retenir contre Birdy, on ne pourra pas le reprocher à Nos Étoiles Contraires. C’est même une des forces majeures du film : un dosage savant de pathos et d’humour, qui parvient jusqu’au bout à éviter l’écueil du mélodrame. Même si on se doute dès les premières minutes que le dénouement ne pourra pas être heureux, même si on traite d’un sujet aussi grave que le cancer, les personnages nous séduisent avant tout par leur ardeur à vivre. Augustus « le miraculé » a le côté revanchard de ceux qui ont failli tout perdre ; Hazel découvre à son contact qu’elle est une personne avant d’être une malade. Et, pendant une bonne moitié du film, on oublie carrément que ces deux jeunes ont le cancer. Ils flirtent,  se testent, discutent métaphysique, guettent les textos l’un de l’autre, passent leurs soirées au téléphone sans être capables de raccrocher en premier. La mort qui plane au-dessus d’eux, à ce moment, semble presque métaphorique : mort à l’enfance, mort à leur vie de malades solitaires pour une renaissance commune dans le grand monde. La spontanéité de Gus, ses extravagances et ses répliques qui tuent nous font rire de bon cœur. Ses soudains accès de profondeur lui donnent une autre étoffe. Dans le récent Divergent, je n’avais été pleinement convaincue ni par Shailene Woodley (Tris Prior), ni par Ansel Elgort (son frère Caleb), que j’avais trouvés assez inexpressifs. Nos Étoiles Contraires me fait revoir mon jugement. Dans l’interprétation de Gus et Hazel, le duo fonctionne à merveille, avec un jeu subtil, tout en nuances. La manière qu’a Hazel de prononcer ses « okay ». La manière qu’a Gus de l’appeler par son nom complet, « Hazel Grace ». La complicité dans leurs regards, la délicatesse dans leurs gestes, la façon dont ils construisent leur propre univers sous les yeux du spectateur. Et finalement, si ce film est bouleversant, c’est parce qu’il parle de la mort en parlant de la vie. Et inversement. Parce qu’il sait gérer l’écart, parce qu’il sait que l’intensité de l’existence naît de l’affrontement interne entre ces deux forces inébranlables. Il était nécessaire de les faire apparaître à part égale, de leur donner toute leur place – d’où l’impossibilité d’un happy end.


Ces petites phrases l’air de rien
Autre bon point du film : son intelligence dans la suggestion. À plusieurs reprises, la conversation entre les protagonistes prend une tournure inattendue – qu’il s’agisse de Gus et Hazel, de Hazel et Van Houten, de Hazel pour elle-même – et les personnages prononcent des phrases-clés (la fameuse scène de la « métaphore » de Gus, la bande enregistrée dans la maison d’Ann Frank, les détours que prend Van Houten pour ne pas répondre à Hazel tout en lui parlant exactement de ce qui la préoccupe). On sent que ces phrases existent, à l’écrit, dans le roman. Le mérite du film a été de les transposer en toute sobriété : pas d’excès de dramatisation, pas d’excès de mise en scène. Les mots sont prononcés, on enchaîne. C’est comme la vie : le temps s’écoule, on ne met pas en pause. Et pourtant, on quitte le cinéma en essayant de se les remémorer, parce qu’on a senti qu’il se jouait, à cet instant précis, quelque chose d’important. Plusieurs jours après, elles nous habitent encore.


Lidewij Vliegenthart, l’initiatrice
Nos Étoiles Contraires a beau être un film réaliste, il n’en va pas moins, pour traiter de l’initiation, puiser dans une forte symbolique que C. G. Jung qualifierait d’« archétypale ». Le personnage de Lidewij Vliegenthart, l’assistante de Peter Van Houten, m’a semblé particulièrement intéressant en ce sens. Dans le film, Lidewij est présentée comme la figure bienveillante par excellence : belle, douce, prévenante, c’est elle qui prépare le voyage de Gus et Hazel, elle qui les accueille dans la demeure de Van Houten, elle qui tempère l’échange, puis elle qui les guide à la découverte d’Amsterdam jusque dans la maison d’Ann Frank. Elle est, en quelque sorte, le pendant lumineux de l’écrivain aigri et misanthrope. C’est grâce à elle que Hazel peut enfin se confronter aux angoisses qui l’obsèdent – que deviendront ceux qu’elle aime, lorsqu’elle ne sera plus là ? Puis, dans la maison d’Ann Frank, alors que la jeune fille décide de risquer sa vie pour monter jusqu’au dernier étage par l’escalier, Lidewij endosse quasiment le rôle du guide mystique : à plusieurs reprises, on la montre qui se retourne et tend la main à Hazel, un sourire serein sur les lèvres, le visage sublimé par ses magnifiques cheveux roux. À cet instant, elle pousse Hazel à aller au bout d’elle-même, à transcender la mort. Elle pourrait autant être l’ange qui l’entraîne vers la tombe que celui qui lui ouvre un passage vers la vie. En témoigne la suite des actions : le baiser des deux héros dans le grenier de la maison, puis leur scène d’amour, la nuit venue, dans la chambre de Gus.


Un presque-sans-faute
Adapter un roman écrit à la première personne est toujours un défi pour le cinéma où la focalisation, par définition, est extérieure. Comment rendre l’émotion du personnage, ses questionnements intérieurs, ses sensations, ses dilemmes, sans verser dans le drama, le pathos, le bavardage ? Twilight et bien d’autres s’y sont cassé les dents. Nos Étoiles Contraires prend le parti d’assumer cette distance : à part la voix-off de Hazel en intro et en final, le film conserve un voile de pudeur. Peu de musique, peu d’effets, aucune complaisance avec la maladie, de la suggestion plus que de l’étalage. Ou presque. Car on n’évite pas quelques scènes pesantes ou maladroites : l’effet de slow-motion avec musique mélo lorsque Hazel se réveille en pleine crise et que ses parents accourent dans sa chambre ; le gros plan sur les abdos de Gus au moment de leur scène d’amour (pourtant toute tendre et toute mignonne) qui ne colle tellement pas à l’ambiance… bon, ça reste un teen-movie américain, ça ne pouvait pas être un sans-faute. Petit bémol également sur les parents de Hazel, couple de parfaits beaux gosses géniaux qui semblent encaisser à merveille la disparition prochaine de leur fille (ça leur fait mal mais ça va, ils gèrent). J’ai cru comprendre que le personnage du père était différent dans le livre, bien moins solide, voire même carrément effondré. Tant mieux car le couple m’a paru ici manquer singulièrement de consistance.


On ne choisit pas toujours la fin
Lorsque la voix-off prononce les dernières phrases et que l’écran devient noir, les applaudissements retentissent. Les spectateurs se lèvent et commencent à quitter la salle. Moi, je reste assise dans mon fauteuil à regarder défiler le générique, en m’imprégnant de la musique, comme d’habitude. J’ai les yeux plein de larmes et les joues humides, je me sens tordue à l’intérieur, comme passée à travers une essoreuse. Je n’ai pas envie de bouger, je sens que j’ai besoin de rester immobile pour profiter de ce qui se passe en moi. Pain demands to be felt, mais ce n’est pas l’avis du vigile qui vient bientôt me demander de partir. Le générique n’est pas fini. Mais il faut. Je prends mon sac, me mets debout, remonte les marches vers la sortie. Dans mon dos, la musique joue encore. C’est parfait, me dis-je. Comme Une Impériale Affliction, comme l’histoire de Gus et Hazel : on ne choisit pas toujours quand vient la fin.

Chronique par Laure
 

Sortie le 20 août 2014
Bande-originale disponible en physique le 18 août 2014

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